A la parution de ce livre, en 1927 puis, dans une version augmentée, en 1946, Benda se proposait de dénoncer l’absolu manque de probité ( au sens nietzschéen) des intellectuels qu’il accusait de trahir en choisissant le dogme contre la réalité. Si la cible principale semble avoir été la dénonciation des intellectuels « engagés » pour la plupart communistes, sa portée était bien supérieure à cette réduction, elle-même trahison puisque favorisant le dogme (de droite) contre le réel. Aujourd’hui, particulièrement ce jour, je pense à « la trahison des clercs » … Et pourquoi donc, me direz-vous ?...
A cause du foot, évidemment. Car, pour
nous vendre cette nouvelle forme des jeux du cirque, l’empereur a
recruté. Les marchands du temple, évidemment, mais également
quelques jolies têtes accrochées maintenant à son tableau de
chasse. Des écrivains, des animateurs d’émissions culturelles,
parfois fort célèbres, des comédiens, des philosophes, des
metteurs en scène, des chorégraphes et, sans surprise, des
politiciens (dont on sait qu’ils sont toujours prêts à se vendre
au plus offrant) qui, tous, nous vantent à longueur d’antenne, de
chaînes et de lignes dans la presse, la valeur universelle du
football... J’en ai le cul troué. Car il n’y a aucun doute :
c’est la forme actuelle de « la trahison des clercs ».
L’ « opium du peuple », aujourd’hui, c’est le
foot. J’ai déjà écrit quelque part que notre société dite
moderne était parvenue à passe de l’antique « Du pain et
des jeux » au terrible « Des jeux et des jeux ». On
y est. Mon problème, quasi existentiel, est simple : où est le
refuge ? Où est cet endroit du monde où l’on n’en parle pas ?
Sous les bombes, dans la jungle ? Vous rigolez .. Même l’état
islamique a un avis sur le foot. Je craque, ce matin, parce que le
refuge que j’avais cru trouver, France Culture, se vautre avec
délice dans la trahison sous couvert de nous parler de foot sous un
angle intellectuel. Me reste une seule question : quelle gueule
aurait aujourd’hui ce monde, à supposer qu’il en aurait une, si
les hommes préhistoriques, dont je ne doute pas qu’ils devaient
jouer à une forme primitive du foot, n’avaient pensé qu’au
foot ? Nous voici, d’un coup, au milieu de l’univers en fusion de
ses débuts avec une question : c‘est quoi le match de ce soir
? Le fait que « tout le monde » aime le foot devient
dérisoire. Et alors ? Tout le monde aime le soleil. On va dessus
pour autant ? Tout le monde aime chier. Le monde est-il couvert de
merde ? Je crains d’avoir encore mis le doigt dessus. C’est bien
de trahison des clercs qu’il s’agit. Aucun doute. Ce que n’a
pas vu le « peuple », c’est que le changement de
paradigme (un gros mot, hein ? …) ne change rien au fond du
problème. Le pouvoir se protège par tous les chemins que lui offre
la passion des « esclaves ». Ce monde est régi par une
seule phrase, qu’on attribue à Louis XV (mais qui s’apparente au
« je m’en lave les mains » de Ponce-Pilate) : « après
moi, le déluge ». On y va tout droit. Dans la joie des
matches de foot qui arrivent à partir de ce soir. Ce qui me
rappelle, du coup, un certain Folamour.
La seule attitude possible en face de
ce déferlement de « foot », le seul, c’est « aux
chiottes le foot », serait-on contre tout le monde. On
appellerait ça « l’honneur des intellectuels » … Une
formule que BHL et ses amis se sont évertués, depuis des décennies,
à discréditer. Ce qui mérite bien quelques entartements. Et s’il
n’en reste qu’un ….